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Interview de Bill Plympton pour son dernier film

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il y a 15 ans 3 mois #34682 par grayve

Vous utilisez dans ce film une technique inédite.
Oui, c’est nouvelle façon de faire pour moi même si j’ai fait quelques courts métrages de cette façon, comme des répétitions. Nous avons fait Shuteye Hotel et un clip video pour Kanye West, Heard’em Say, nous avons du le faire en une semaine, trois minutes de video en une semaine, il fallait donc vraiment aller vite, c’était une bonne répétition de faire ce film sans utiliser de caméra, juste des scans sur un ordinateur.

Est-ce à suite aux difficultés que vous avez rencontré sur Hair High que vous avez decidé d’utiliser cette nouvelle méthode de travail ?
Oui, mais il y a aussi d’autres raisons. A la fin des années 90 il était encore très coûteux de transférer des fichiers numériques sur pellicule, avec le temps les coûts n’ont cessé de diminuer et vers 2004-2005 il est devenu équivalent de tourner en pellicule et de transférer du digital vers du film. Quand cela s’est équilibré nous avons décidé de passer au numérique.

Etait-ce uniquement pour des raisons économiques ou y voyiez vous un intérêt artistique ?
Il y avait bien sûr un intérêt artistique. Cela nous permet de faire des modifications plus facilement, nous pouvons jouer avec les couleurs, c’est plus rapide. J’adore travailler sur pellicule mais nettoyer les cellulos est un cauchemar, faire en sorte qu’ils soient parfaits. S’il y a une seule petite erreur il faut retourner toute la séquence et cela coûte très cher.

Quelle influence a eu la technique employée sur le style visuel du film ?
Pour la première fois j’ai pu utiliser des dessins au crayon, je n’ai jamais pu le faire avec le celluloïd, nous avons essayé, nous les avons passé dans un ordinateur mais c’était très brouillon, c’était de mauvaise qualité, les lignes n’étaient pas nettes. Aujourd’hui les détails sont très précis et propres. Il y a beaucoup de couches sur le dessin, j’utilise la gomme, je redessine, c’est très subtil, les machines n’arrivaient pas à saisir tout ça avant.

Pourquoi avoir choisi d’employer ces tons monochromes ?
Je voulais que cela soit plus sombre, plus maléfique, je voulais plus d’atmosphère, quelque chose proche du film noir. C’est un film très différent de ce que je fais d’habitude. Je crois que le public veut voir des choses différentes, il ne veut plus voir la traditionnelle animation par ordinateur avec des animaux et des histoires gaies. Je voulais faire quelque chose de très sombre et de plus profond, plus psychologique, c’est aussi pour ça que j’ai utilisé cette technique.

Vous portez une fois de plus un regard sombre sur la société américaine.
Oui mais c’est plus européen que d’habitude. La musique est très européenne par exemple, nous avons Tom Waits qui est américain mais dont la musique a quelque chose de germanique, nous avons deux musiciens français, Nicole Renaud et Didier Carmier qui est guitariste, c’est un groupe hollandais qui a fait la chanson d’ouverture et nous avons également Pink Martini. La musique est très internationale.

Vous vouliez vraiment avoir Tom Waits dans le film, pourquoi lui ?
Je dessinais dans un bar et j’écoutais de la musique pour l’inspiration, j’écoutais du Tom Waits et j’ai pensé que cela serait vraiment formidable de l’avoir. Je ne connais pas Tom Waits mais Jim Jarmusch est un ami alors je l’ai appelé et je lui ai dit « est ce que je peux t’envoyer mon film ? Si cela te plait passe le à Tom Waits et nous verrons ce qu’il dit ». Je le lui ai donc envoyé et trois semaines plus tard j’ai eu ce fantastique email me disant « Tom aime ton travail, il dit que tu peux utiliser ce que tu veux », il a fallu payer des droits mais très peu, rien de comparable avec ce qui se pratique à Hollywood, c’était formidable.

Le bar tient une place centrale dans le film, les bars américains typiques sont très différents de ceux que l’on trouve en France, comment définiriez vous leur rôle dans la société américaine ?
Quand j’étais au lycée j’ai travaillé dans une épicerie comme livreur, et à coté de cette épicerie il y avait un bar. L’épicier était très amis avec ce bar et chaque fois qu’ils voulaient des cigarettes, des serviettes ou quoi que ce soit d’autre j’allais le leur apporter. Ce bar était très sombre, il y avait quelque chose de mystique dans cet endroit, comme une église, cette image était très forte et je m’étais dit que cela serait un cadre formidable pour un film. C’est un peu comme une église, c’est le point de vue duquel je pars dans le film, quand il meurt et monte vers les lumières cela devient très spirituel. Je ne passe pas beaucoup de temps dans les bars et je n’y pense pas en tant qu’églises mais il y a des similarités.

La relation entre le personnage principal et le barman est cruciale dans le film.
C’est une chose avec laquelle je voulais jouer. Je voulais commencer avec le personnage principal -que nous appelons Angel- qui est un personnage négatif et le barman qui est lui positif, et au fil du film il commencent à échanger leurs rôles et on se rend compte que le barman n’est peut être pas si gentil que ça et c’est finalement Angel qui devient le bon personnage. Je voulais jouer avec cet échange de personnalités. Je ne sais pas si ça marche ou pas, si les gens comprennent ou pas, mais c’était intéressant pour moi de jouer sur la façon dont les gens les perçoivent.

AngelIl n’y a donc pas de bien ni de mal… mais il y a les ailes.
Les ailes ont de l’importance. Je pense que tout le monde a des ailes invisibles dans son dos, ils ne le savent tout simplement pas. Ils ne savent pas comment les découvrir, ils doivent les exercer, les utiliser, et avec un peu de chance s’envoler loin de la bêtise, de la médiocrité. C’est l’objet du film, que tout le monde a ces ailes, elles peuvent vous venir, elles peuvent me venir, il faut en être conscient et l’apprécier. C’est la morale du film. Je n’aime pas faire des films moraux - comme vous le savez mes films sont ne sont en gros que du sexe et de la violence débridés - mais j’ai trouvé que cette histoire était bonne et qu’il serait amusant de la mettre en scène. La séquence a début du film où il y a un vers dans ses cheveux qui devient un papillon est une espèce de métaphore du film, cet homme commence par être un vers, un vers solitaire et répugnant, et les ailes surgissent et le rendent beau, il devient cette belle personne. Certains ne le voient peut être pas, cela m’est égal, ce la fait juste partie de ces pièces de puzzle que je mets dans les films pour que les gens les découvrent.

Entre vous et la France c’est une longue histoire.
Je vais au festival d’Annecy, au festival de Clermont-Ferrand, je vais au festival de Cannes, et je pense que le public français est tellement plus malin, plus lucide, et plus avide de cinéma que le public américain. Aux Etats-Unis c’est plus la télévision, ils aiment la télévision, le cinéma a en France un autre statut, c’est comme en Inde, ils aiment vraiment le cinéma. Je pense que les raisons pour lesquelles je suis apprécié ici c’est que je suis indépendant, ce qui est important, et que je suis un auteur. J’écris, je produis, je dessine, j’anime, je réalise, je pense que le public français apprécie cela. Je pense aussi qu’ils apprécient le fait que mon travail soit fait pour les adultes, pas uniquement pour les enfants. Ils acceptent davantage l’animation pour adultes alors qu’aux Etats-Unis ils ne sont pas encore tout à fait sûr que l’animation peut être faite pour les plus grands. Mais je pense que petit à petit le public change de regard sur l’animation. Mes films ont peu à peu une meilleure distribution en salles en Amérique et c’est le plus important pour moi, que mes films soient en salles. C’est intéressant parce que je me bats en permanence avec Pixar, Dreamworks ou Disney et je n’ai ni le pouvoir financier ni le talent qu’ils ont mais le public parvient à me trouver, sur internet et par d’autres biais, et je commence à être de plus en plus populaire. On me reconnaît parfois dans la rue, c’est agréable.

On voit effectivement de plus en plus de films d’animations depuis quelques années.
Il y a une vraie révolution en marche dans l’animation indépendante de long métrage, vous connaissez bien sûr Les triplettes de Belleville, Persepolis, Valse avec Bachir, Kirikou, la même chose se passe en Amérique, de plus en plus de gens, de jeunes gens, font des long-métrages seuls, sur ordinateur, en animation flash, et ces gens se disent « Bill Plympton le fait alors je peux le faire ! ». J’ai en quelque sorte un peu lancé cette révolution de fous furieux qui veulent faire leur propre long-métrage chez eux, tout seuls, c’est très enthousiasmant. Ils m’appelent le « roi de l’animation indé » parce que j’ai un peu lancé ça avec The Tune en 1991. C’est un véritable mouvement, contre les films Pixar et Dreamworks, les gens font des films d’animation pour adultes qui sont vraiment singuliers. Ils n’ont peut être pas beaucoup de succès, ils ne font peut être pas beaucoup d’entrées mais leur art est passionnant et ils font des choses qui n’ont jamais été faites auparavant. Je me souvient quand j’étais au lycée dans les années 60, on avait avec un peu de chance un film d’animation par an, peut être un Disney ou un Yellow Submarine, maintenant il y en a vingt ou trente ! Il y a les films japonais, allemands, français, américains, il y a tant de bons films, je trouve ça fantastique.

Avez vous été un jour approché par un grand studio d’animation ?
Il y a à peu près quinze ans Disney est entré en contact avec moi, il voulaient que je sois animateur pour eux, ils m’ont offert un million de dollars, c’était une bonne offre, mais il aurait fallu que je déménage à Los Angeles, que je fasse un de leurs films… alors j’ai dit non, j’ai préféré rester à New York et rester indépendant. J’adore Disney, j’ai toujours aimé Disney, et s’ils voulaient que réalise un film pour eux je serais ravi, mais je devais dire non.

Propos recueillis à Paris le 08 janvier par Olivier Gonord.



source : fr.blogs.dissidenz.com/2009/01/14/entretien-avec-bill-plympton/

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